Alors
que le visage hideux de l’apartheid planait en maître absolu sur l’Afrique du
Sud, plusieurs chansons de protestation contre ce régime sanglant et répressif
ont vu le jour dans les années 80. L’une d’entre elles, ‘‘Assimbonanga’’ de
Johnny Clegg est restée emblématique depuis sa sortie en 1987 jusqu’à ce jour.
Qu’est-ce qui a fait d’elle la plus grande chanson anti-apartheid, la plus
retentissante dans le monde entier et la plus populaire de tous
les temps?
D’origine britannique, Johnny Clegg vivait depuis l’âge de 6 ans en Afrique du Sud où il s’est littéralement épris de la culture Zulu d’où son surnom le ‘‘Zulu Blanc’’. En plus de sa formation musicale traditionnelle zulu, il a suivi des études sur la culture zulu à l’université et s’est marié selon les rites et traditions Zulu.
Johnny Clegg lors de sa cérémonie de mariage Zulu © KUUS/SIPA |
Alors que les Blancs qui soutenaient la
lutte des Noirs étaient assassinés autant que les Noirs, Johnny Clegg, le Zulu
Blanc s’est démarqué par son courage à chanter ouvertement pour Nelson Mandela,
figure emblématique de la lutte anti-apartheid, emprisonné à Robben
Island. Il lui a dedié ‘‘Assimbonanga’’ au péril de sa vie.
‘‘Il
y a eu une période de ma vie où j’ai regretté de ne pas être noir. Je le
voulais désespérément» Johnny Clegg.
- Une
chanson à scandale
“Assimbonanga”
est sorti est 1987 alors l’apartheid battait son plein. Pour rappel,
l’apartheid est régime honteusement totalitaire qui prônait la suprématie des Blancs afrikaners
au détriment des Noirs pourtant natifs d’Afrique du sud. Évidemment,
“Assimbonanga” fût interdit en Afrique du Sud à sa sortie. Comment un Blanc
pouvait-il chanter, danser avec des Noirs et pire, soutenir la lutte
anti-apartheid? C’était une provocation, un défi, une insulte!
Le chanteur, fût
à plusieurs reprises menacé, arrêté et accusé de violer les lois de la
ségrégation raciale. Les radios refusaient de diffuser sa musique pour
des raisons qu’on devine aisément. L’ironie
du sort est que c’est à l’étranger que cette chanson a eu un succès fulgurant.
Et ce succès a soutenu la pression internationale qui se faisait de plus en
plus forte. La chanson à scandale a fini par devenir l’hymne de la lutte
anti-apartheid et a réussi à faire bouger les lignes. Pour la petite
histoire, le succès de l’artiste était tel qu’en 1988, Michael Jackson a été
forcé d’annuler un concert prévu à Lyon, faute de billets vendus car Johnny
Clegg se produisait le même soir.
© Bertrand GUAY / AFP |
‘‘Non seulement on a mis ce vieil homme en
prison, mais en plus on a interdit la publication de photos de lui! Cela
montrait combien le gouvernement était répressif.’’ Richard Nwamba, animateur radio à
Johannesburg
- Texte
en hommage à Nelson Mandela
Le
titre “Asimbonanga” (nous ne l’avons pas vu) fait référence au fait que
beaucoup n’avaient jamais vu Nelson Mandela. Et ceux qui l’avaient connu ne
savaient plus à quoi il ressemblait. Ce qui amplifiait le mythe autour de sa
personne. Pendant les 27 années de sa détention, la presse
sud-africaine n’a publié aucune photo de lui depuis sa prison. D’ailleurs toute
photo de Nelson Mandela était strictement illégale et la simple
évocation de son nom, purement interdite.
Les formalités de visite en
prison étaient intentionnellement longues, ridicules et harassantes. De plus,
le voyage à Robben Island était fastidieux et coûtait cher pour la bourse des Noirs de sorte que
beaucoup finissaient par y renoncer.
Prison de Robben Island |
Malgré tout, ses militants possédaient clandestinement
d’anciennes photos de leur leader, au mépris des interdits. En fait, l’objectif
du gouvernement apartheid était d’effacer complètement le visage de Nelson
Mandela des mémoires puisque selon leur plan, il devait mourir en prison comme
tous les autres activistes anti-apartheid. Certains d’entre eux (Steve Biko,
Victoria Mxenge, Neil Aggett) sont cités à la fin de la chanson.
“Nous
ne l’avons pas vu’’ (Asimbonang 'umfowethu thina / Asimbonang 'umtathiwethu
thina (Nous n'avons pas vu notre frère) / (Nous n'avons pas vu notre soeur)) peut
accessoirement faire reférence à tous les martyrs de l’apartheid dont le corps
n’a jamais été retrouvé par leur famille. En 2013 décédait Dirk Coetzee le redouté et tout puissant chef
de la Police secrète Sud-Africaine. Il a emporté dans sa tombe le secret de quelque
sites où étaient enterrés les victimes de l’apartheid. Il n’avait jamais voulu
révéler leur l’emplacement...
- Musique
hybride
Le
texte d’Asimbonanga est un mix de refrains en Zulu et de couplets en anglais;
un symbole de fraternité multiraciale pour éveiller les consciences, pendant
les pires heures de l’Apartheid. Le titre de la chanson a été choisi en Zulu
avec cette même intention.
Quant à la musique, elle est un savant mélange
de mélodie pop et de musique traditionnelle zulu. Johnny Clegg s’est donc servi
de cette musique hybrique pour tenter de briser les barrières raciales et
culturelles.
Ses chorégraphies sont constituées de danses Zulu, le toyi-toyi notamment qui est une danse de protestation (dansée les pieds nus levés très
hauts qui ensuite descendent pour marteler le sol) La musique de Johnny Clegg
reflétait son idéal: un monde dans lequel Blancs et Noirs coexistent
harmonieusement.
‘‘À
17 ans, il a formé son groupe, Juluka. C’était comme défier directement le
gouvernement de l’apartheid. Les Blancs vivaient d’un côté, et les Noirs de
l’autre. Alors eux qui jouaient ensemble, c’était comme s’ils faisaient un bras
d’honneur! À cette époque, il faut se souvenir que tout pouvait arriver, il
aurait pu être tué.’’ Richard
Nwamba, animateur radio à Johannesburg.
- Gratification
de Johnny Clegg
Lors
d’un concert en 1997 à Frankfurt, Allemagne, Johnny Clegg a eu l’immense
privilège de chanter “Assimbonanga” en compagnie de Nelson Mandela qui était
désormais libre et qui plus est Président de la République. Madiba joyeux
et joueur a même esquissé sur scène des pas de danse et interagi avec le
public. Ce fût une énorme gratification, voire la meilleure, pour la
carrière d’artiste du Zulu Blanc.
“La
musique a une puissance qui défie la politique” disait Nelson Mandela. Le Zulu
Blanc a véritablement défié la politique apartheid par son chant “Assimbonanga”
et sa musique qui prônent le brassage des races. Raison pour laquelle cette
chanson a fait l’histoire, et Johnny Clegg, lui a marqué son temps.
"Une
voix adorée, source d'inspiration et héroïque s'est tue et nous prive d'un
compatriote exceptionnel et d'une icône de la cohésion sociale et de
l'antiracisme. Johnny Clegg vivra toujours dans nos cœurs et dans nos
foyers".
Cyril Ramaphosa chef d’état Sud Africain.
Phumla
ngokuthula!* Johnny Clegg (1953-2019).
*‘‘Repose en
paix!” en Zulu
ASIMBONANGA (PAROLES)
(Nous ne L'avons
Pas Vu)
[Refrain] (x2)
Asimbonanga
(Nous ne l'avons
pas vu)
Asimbonang'
uMandela thina
(Nous n'avons pas
vu Mandela)
Laph'ekhona
(A l'endroit où
il est)
Laph'ehleli khona
(A l'endroit où
on le retient prisonnier)
Couplet 1
Oh the sea is
cold and the sky is grey
(Oh, la mer est
froide et le ciel est gris)
Look across the
Island into the Bay
(Regarde de
l'autre côté de l'Ile dans la Baie)
We are all
islands till comes the day
(Nous sommes tous
des îles jusqu'à ce qu'arrive le jour)
We cross the
burning water
(Où nous
traversons la mer de flammes)
[Refrain] (x2)
Couplet 2
A seagull wings
across the sea
(Un goéland
s'envole de l'autre côté de la mer)
Broken silence is
what I dream
(Je rêve que le
silence se brise)
Who has the words
to close the distance
(Qui a les mots
pour réduire la distance)
Between you and
me
(Entre toi et moi?)
[Refrain] (x2)
Steve Biko (1)
Victoria Mxenge (2)
Neil Aggett (3)
Asimbonanga
(Nous ne l'avons
pas vu(e))
Asimbonang
'umfowethu thina
Asimbonang
'umtathiwethu thina
(Nous n'avons pas
vu notre frère)
(Nous n'avons pas
vu notre soeur)
Laph'ekhona
(A l'endroit où
il/elle est)
Laph'wafela khona
(A l'endroit où
il/elle est mort(e))
Hey wena, hey
wena
(Hé, toi! Hé
toi!)
Hey wena nawe
(Hé toi, et toi
aussi!)
Siyofika nini la'
siyakhona
(Quand
arriverons-nous à destination?)
[Refrain] (x4)
(1) Steve Bantu
Biko (1946-1977), philosophe noir, une figure et un martyr de la lutte contre
l'apartheid, mort après 2 semaines de détention, sans procès et dans des
conditions troubles. Son corps fut remis à sa famille dans un cercueil scellé.
(2) Victoria
Mxenge (1942-1985), avocate noire symbole de la lutte contre l'apartheid tuée à
bout portant devant ses enfants, puis achevée avec une hache. Son mari avait
été assassiné 4 ans plus tôt dans des conditions similaires par l’escadron de
la mort du régime apartheid. A Beauvais, France (Normandie), une rue porte
le nom de Victoria Mxenge.
(3) Neil Aggett
(1953-1982), médecin et syndicaliste Blanc figure de la lutte anti-apartheid
lui aussi, torturé et assassiné en prison après 70 jours de détention sans
procès pendant lesquels il était roué de coups et recevait des décharges
électriques, les yeux bandés.
Sources:
- RFI
Afrique
- Le
Figaro
- The
Times South Africa
Crédit
Photo:
-
Paris
Match
- KUUS/SIPA
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