mardi 16 juillet 2019

ASSIMBONANGA, UN TUBE QUI A FAIT L’HISTOIRE


   Alors que le visage hideux de l’apartheid planait en maître absolu sur l’Afrique du Sud, plusieurs chansons de protestation contre ce régime sanglant et répressif ont vu le jour dans les années 80. L’une d’entre elles, ‘‘Assimbonanga’’ de Johnny Clegg est restée emblématique depuis sa sortie en 1987 jusqu’à ce jour. Qu’est-ce qui a fait d’elle la plus grande chanson anti-apartheid, la plus retentissante dans le monde entier et la plus populaire de tous les temps?





D’origine britannique, Johnny Clegg vivait depuis l’âge de 6 ans en Afrique du Sud où il s’est littéralement épris de la culture Zulu d’où son surnom le ‘‘Zulu Blanc’’. En plus de sa formation musicale traditionnelle zulu, il a suivi des études sur la culture zulu à l’université et s’est marié selon les rites et traditions Zulu. 
Johnny Clegg lors de sa cérémonie de mariage Zulu © KUUS/SIPA
Alors que les Blancs qui soutenaient la lutte des Noirs étaient assassinés autant que les Noirs, Johnny Clegg, le Zulu Blanc s’est démarqué par son courage à chanter ouvertement pour Nelson Mandela, figure emblématique de la lutte anti-apartheid, emprisonné à Robben Island. Il lui a dedié ‘‘Assimbonanga’’ au péril de sa vie.  





‘‘Il y a eu une période de ma vie où j’ai regretté de ne pas être noir. Je le voulais désespérément» Johnny Clegg. 





-          Une chanson à scandale 



“Assimbonanga” est sorti est 1987 alors l’apartheid battait son plein. Pour rappel, l’apartheid est régime honteusement totalitaire qui prônait la suprématie des Blancs afrikaners au détriment des Noirs pourtant natifs d’Afrique du sud. Évidemment, “Assimbonanga” fût interdit en Afrique du Sud à sa sortie. Comment un Blanc pouvait-il chanter, danser avec des Noirs et pire, soutenir la lutte anti-apartheid? C’était une provocation, un défi, une insulte!
© Bertrand GUAY / AFP
Le chanteur, fût à plusieurs reprises menacé, arrêté et accusé de violer les lois de la ségrégation raciale.  Les radios refusaient de diffuser sa musique pour des raisons qu’on devine aisément. L’ironie du sort est que c’est à l’étranger que cette chanson a eu un succès fulgurant. Et ce succès a soutenu la pression internationale qui se faisait de plus en plus forte. La chanson à scandale a fini par devenir l’hymne de la lutte anti-apartheid et a réussi à faire bouger les lignes. Pour la petite histoire, le succès de l’artiste était tel qu’en 1988, Michael Jackson a été forcé d’annuler un concert prévu à Lyon, faute de billets vendus car Johnny Clegg se produisait le même soir. 




‘‘Non seulement on a mis ce vieil homme en prison, mais en plus on a interdit la publication de photos de lui! Cela montrait combien le gouvernement était répressif.’’ Richard Nwamba, animateur radio à Johannesburg





-          Texte en hommage à Nelson Mandela



Le titre “Asimbonanga” (nous ne l’avons pas vu) fait référence au fait que beaucoup n’avaient jamais vu Nelson Mandela. Et ceux qui l’avaient connu ne savaient plus à quoi il ressemblait. Ce qui amplifiait le mythe autour de sa personne.  Pendant les 27 années de sa détention, la presse sud-africaine n’a publié aucune photo de lui depuis sa prison. D’ailleurs toute photo de Nelson Mandela était strictement illégale et la simple évocation de son nom, purement interdite.

Les formalités de visite en prison étaient intentionnellement longues, ridicules et harassantes. De plus, le voyage à Robben Island était fastidieux et coûtait cher pour la bourse des Noirs de sorte que beaucoup finissaient par y renoncer. 

Prison de Robben Island
Malgré tout, ses militants possédaient clandestinement d’anciennes photos de leur leader, au mépris des interdits. En fait, l’objectif du gouvernement apartheid était d’effacer complètement le visage de Nelson Mandela des mémoires puisque selon leur plan, il devait mourir en prison comme tous les autres activistes anti-apartheid. Certains d’entre eux (Steve Biko, Victoria Mxenge, Neil Aggett) sont cités à la fin de la chanson.




“Nous ne l’avons pas vu’’ (Asimbonang 'umfowethu thina / Asimbonang 'umtathiwethu thina (Nous n'avons pas vu notre frère) / (Nous n'avons pas vu notre soeur)) peut accessoirement faire reférence à tous les martyrs de l’apartheid dont le corps n’a jamais été retrouvé par leur famille. En 2013 décédait Dirk Coetzee le redouté et tout puissant chef de la Police secrète Sud-Africaine. Il a emporté dans sa tombe le secret de quelque sites où étaient enterrés les victimes de l’apartheid. Il n’avait jamais voulu révéler leur l’emplacement...





-          Musique hybride 



Le texte d’Asimbonanga est un mix de refrains en Zulu et de couplets en anglais; un symbole de fraternité multiraciale pour éveiller les consciences, pendant les pires heures de l’Apartheid. Le titre de la chanson a été choisi en Zulu avec cette même intention.

Quant à la musique, elle est un savant mélange de mélodie pop et de musique traditionnelle zulu. Johnny Clegg s’est donc servi de cette musique hybrique pour tenter de briser les barrières raciales et culturelles.


Ses chorégraphies sont constituées de danses Zulu, le toyi-toyi notamment qui est une danse de protestation (dansée les pieds nus levés très hauts qui ensuite descendent pour marteler le sol) La musique de Johnny Clegg reflétait son idéal: un monde dans lequel Blancs et Noirs coexistent harmonieusement. 






‘‘À 17 ans, il a formé son groupe, Juluka. C’était comme défier directement le gouvernement de l’apartheid. Les Blancs vivaient d’un côté, et les Noirs de l’autre. Alors eux qui jouaient ensemble, c’était comme s’ils faisaient un bras d’honneur! À cette époque, il faut se souvenir que tout pouvait arriver, il aurait pu être tué.’’ Richard Nwamba, animateur radio à Johannesburg.






-          Gratification de Johnny Clegg 


Lors d’un concert en 1997 à Frankfurt, Allemagne, Johnny Clegg a eu l’immense privilège de chanter “Assimbonanga” en compagnie de Nelson Mandela qui était désormais libre et qui plus est Président de la République. Madiba joyeux et joueur a même esquissé sur scène des pas de danse et interagi avec le public. Ce fût une énorme gratification, voire la meilleure, pour la carrière d’artiste du Zulu Blanc.





“La musique a une puissance qui défie la politique” disait Nelson Mandela. Le Zulu Blanc a véritablement défié la politique apartheid par son chant “Assimbonanga” et sa musique qui prônent le brassage des races. Raison pour laquelle cette chanson a fait l’histoire, et Johnny Clegg, lui a marqué son temps.  





"Une voix adorée, source d'inspiration et héroïque s'est tue et nous prive d'un compatriote exceptionnel et d'une icône de la cohésion sociale et de l'antiracisme. Johnny Clegg vivra toujours dans nos cœurs et dans nos foyers". Cyril Ramaphosa chef d’état Sud Africain.





Phumla ngokuthula!* Johnny Clegg (1953-2019). 



*‘‘Repose en paix!” en Zulu






ASIMBONANGA (PAROLES) 

(Nous ne L'avons Pas Vu)



[Refrain] (x2)

Asimbonanga

(Nous ne l'avons pas vu)

Asimbonang' uMandela thina

(Nous n'avons pas vu Mandela)

Laph'ekhona

(A l'endroit où il est)

Laph'ehleli khona

(A l'endroit où on le retient prisonnier)



Couplet 1 

Oh the sea is cold and the sky is grey

(Oh, la mer est froide et le ciel est gris)

Look across the Island into the Bay

(Regarde de l'autre côté de l'Ile dans la Baie)

We are all islands till comes the day

(Nous sommes tous des îles jusqu'à ce qu'arrive le jour)

We cross the burning water

(Où nous traversons la mer de flammes)



[Refrain] (x2)



Couplet 2

A seagull wings across the sea

(Un goéland s'envole de l'autre côté de la mer)

Broken silence is what I dream

(Je rêve que le silence se brise)

Who has the words to close the distance

(Qui a les mots pour réduire la distance)

Between you and me

(Entre toi et moi?)



[Refrain] (x2)



Steve Biko (1)
Victoria Mxenge (2)
Neil Aggett (3)




Asimbonanga

(Nous ne l'avons pas vu(e))

Asimbonang 'umfowethu thina

Asimbonang 'umtathiwethu thina

(Nous n'avons pas vu notre frère)

(Nous n'avons pas vu notre soeur)

Laph'ekhona

(A l'endroit où il/elle est)

Laph'wafela khona

(A l'endroit où il/elle est mort(e))

Hey wena, hey wena

(Hé, toi! Hé toi!)

Hey wena nawe

(Hé toi, et toi aussi!)

Siyofika nini la' siyakhona

(Quand arriverons-nous à destination?)



[Refrain] (x4)




(1) Steve Bantu Biko (1946-1977), philosophe noir, une figure et un martyr de la lutte contre l'apartheid, mort après 2 semaines de détention, sans procès et dans des conditions troubles. Son corps fut remis à sa famille dans un cercueil scellé.



(2) Victoria Mxenge (1942-1985), avocate noire symbole de la lutte contre l'apartheid tuée à bout portant devant ses enfants, puis achevée avec une hache. Son mari avait été assassiné 4 ans plus tôt dans des conditions similaires par l’escadron de la mort du régime apartheid. A Beauvais, France (Normandie), une rue porte le nom de Victoria Mxenge.



(3) Neil Aggett (1953-1982), médecin et syndicaliste Blanc figure de la lutte anti-apartheid lui aussi, torturé et assassiné en prison après 70 jours de détention sans procès pendant lesquels il était roué de coups et recevait des décharges électriques, les yeux bandés.






Sources:
-          Un long chemin vers la Liberté, 1996, Jean Guiloineau, Nelson Mandela  
-          RFI Afrique 
-          Le Figaro
-          The Times South Africa  



Crédit Photo: 
-          Paris Match 
-      KUUS/SIPA




Aucun commentaire: